Langue adaptée dans les musées

« Avant, je n’étais presque jamais allé au musée. »

Le français facile à lire et à comprendre (FALC) est un outil efficace pour les musées qui souhaitent faciliter l’accès à leurs contenus pour tous, y compris pour les personnes avec une déficience intellectuelle. Les guides ou carnets de visites en FALC sont un support apprécié, à condition qu’ils aient été conçus et testés par des représentants du public qu’un musée souhaite inviter. Retour sur deux exemples romands pionniers.

Carnet de visite en français facile à lire et à comprendre (FALC) de l’exposition permanente du Musée international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (MICR).©MICR

En 2004, l’artiste Kay Pastor ouvre à Saint-Jean (GE) un atelier artistique qui accueille des élèves de tous âges et niveaux, avec et sans handicap. Elle nomme l’association qui gère l’atelier 1001 feuilles. Dans ce cadre, elle organise des visites de musée. Formée aux Beaux-Arts, Kay Pastor a à cœur de transmettre des contenus d’histoire de l’art. Très vite, elle se pose la question de l’accessibilité de ces contenus. Comment les expliquer et les transmettre à des personnes qui ont différentes capacités de compréhension, sans tomber dans la facilité ?   

Avec ses élèves avec une déficience intellectuelle ou un autisme, Kay Pastor développe alors une méthode de visite dès 2010. Elle s’appuie d’une part sur la perception par les cinq sens, d’autre part sur l’utilisation du français facile à lire et à comprendre (FALC) à l’oral. Le FALC ne sert pas seulement à décrire des contenus culturels en un langage compréhensible. Bien plus, il sert à s’orienter, à exprimer ses perceptions, ses émotions, ses connaissances et à dire les histoires qu’évoquent un objet ou une œuvre. La méthode valorise les compétences des participants. Ainsi, Kay Pastor parle de « singularité » plutôt que de « déficience » intellectuelle. Chaque visite est suivie d’un atelier de dessin. Le FALC favorise ainsi l’appropriation créative de ce qui a été perçu, observé et compris.

« Lors de visites au musée, on ne parle pas beaucoup, on laisse chacun regarder. »

Frédéric Kessler, expert avec une singularité intellectuelle de l’association 1001 feuilles​​

Avec le projet « Croque-Musées », lancé en partenariat avec ASA - Handicap mental en 2018, 1001 feuilles organise des visites et des ateliers au musée avec des personnes avec une singularité intellectuelle. Ces actions ont lieu le dernier dimanche du mois dans des musées partenaires romands, comme par exemple les Musées d’art et d’histoire de Genève. Ces actions sont soit réservées à des personnes singulières, soit elles mélangent les publics. Deux personnes singulières préparent et réalisent ces actions avec Kay Pastor. Il s’agit de Frédéric Kessler et de Filipe Machado, que Kay Pastor a formés à la médiation culturelle. Les musées partenaires bénéficient d’une formation construite avec des experts singuliers, et se sensibilisent à l’inclusion de ces personnes.

« Moi je vais maintenant au musée tous les dimanches, même tout seul, sauf s’il fait très beau. »

Frédéric Kessler, expert avec une singularité intellectuelle de l’association 1001 feuilles​

« Pour me préparer, je vais d’abord au musée avec Kay. Elle me laisse me balader, puis dire ce que j’ai pensé, ressenti de ma visite. Parfois on choisit quelques œuvres ou objets à présenter aux autres. Mais souvent, on ne parle pas beaucoup, on laisse chacun regarder et on répond s’il y a des questions », explique Frédéric Kessler. Frédéric Kessler et Filipe Machado disent tous deux que cette méthode et leur formation a changé leur vie et leur rapport à la culture. « Avant de rencontrer Kay Pastor et l’association 1001 feuilles, j’étais allé à quelques évènements précis mais presque jamais au musée » indique Filipe Machado. « Moi je vais maintenant au musée tous les dimanches, même tout seul, sauf s’il fait très beau. J’aime beaucoup, et on a droit à la culture », renchérit Frédéric Kessler.

« Le guide en langue facile couvre tout le musée et nous n’avons pas pu arriver au bout. »

Kay Pastor, fondatrice de l’association 1001 feuilles​

En octobre 2018, l’équipe de « Croque-Musées » a testé le nouveau guide en langue facile du Laténium – parc et musée d’archéologie près de Neuchâtel. Après avoir suivi un cours de sensibilisation au FALC, une collaboratrice du musée avait créé un guide de l’exposition permanente avec deux experts singuliers de la Fondation Les Perce-Neige. Le guide peut être utilisé seul ou en groupe. Avant la visite de 1001 feuilles, chaque futur visiteur a reçu un chapitre à préparer, qu’il a ensuite présenté aux autres lors d’une visite d’une demi-journée.

Une dizaine de personnes ont pu ainsi constater que le fascicule convenait parfaitement à leur niveau de compréhension et à leur soif de connaissances. « Tout est bien expliqué, et le glossaire à la fin est pratique. Ma seule critique concerne une difficulté à comprendre les indications pour s’orienter », note Filipe Machado. Et les deux experts ont un regret commun, celui de ne pas avoir eu assez de temps pour visiter l'ensemble de l’exposition permanente. Un bémol partagé par Kay Pastor : « Le guide couvre tout le musée et nous n’avons pas pu arriver au bout, c’était un peu frustrant. Il pourrait être bienvenu d’indiquer la chose dans une introduction, ainsi on se sentirait libre d’approfondir un ou deux chapitres. »

« Les personnes avec une singularité intellectuelle nous aident à aller à l’essentiel. »

Kay Pastor, fondatrice de l’association 1001 feuilles​

Reste que la démarche a plu à tous les participants. « Collaborer avec un musée trace un cercle vertueux qui nourrit la réflexion sur la considération des personnes singulières dans notre société. Elles nous aident à aller à l’essentiel, à clarifier notre pensée pour se mettre au niveau de compréhension de chacun. Nous, spécialistes, sommes obligés de sortir de notre zone de confort – élitiste, corporatiste – et c’est salutaire. La preuve ? Lors de notre visite au Laténium, des enfants se sont spontanément joints à notre groupe. La démarche peut donc bien concerner et plaire à un public élargi. Elle est inclusive », conclut Kay Pastor.

Le Musée international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (MICR) de Genève a toujours eu le souhait d’accueillir différents publics, y compris les personnes en situation de handicap. Au départ, il n’avait pas de stratégie particulière. En 2011, Marie-Dominique de Preter, responsable du Service culturel du MICR, participe aux réunions organisées par Genève et la France voisine sur l’accès à la culture. Elle en en revient avec l’envie de lancer une stratégie de médiation inclusive.  

« J’ai alors rencontré des associations actives dans le monde du handicap, puis plus particulièrement les résidents et les collaborateurs du Village d’Aigues-Vertes, pour cerner leurs attentes », explique Marie-Dominique de Preter. Des personnes avec une singularité intellectuelle ont dès lors participé à l’élaboration du carnet de visite en FALC « Mon musée pas à pas » de l’exposition permanente, destiné à être utilisé par des groupes de 4 à 6 personnes. L’aventure a aussi coïncidé avec le travail de diplôme d’une guide du MICR qui étudiait l’éducation spécialisée. Elle a ainsi étudié la transmission de contenus historiques aux personnes en situation de handicap. Cette femme a ensuite formé les autres guides. « Des résidents du Village d’Aigues-Vertes ont aussi illustré la couverture du fascicule », ajoute la responsable du Service culturel du MICR.

« Il faut aller à la rencontre des gens pour les intéresser à venir. »

Marie-Dominique de Preter, responsable du Service culturel du MICR​

Reste à faire connaître les activités et le carnet de visite « Mon musée pas à pas » aux personnes concernées. « C’est encore difficile. Nous avons une base de données des associations qui travaillent dans tous les domaines du handicap, ainsi qu’une liste d’institutions. Nous envoyons des news électroniques, mais sans beaucoup de résultats. Il faut aller à la rencontre des gens pour les intéresser à venir », note Marie-Dominique de Preter.    

Le MICR organise chaque année une Journée inclusive destinée à tous les publics, avec par exemple un Café des Signes qui mêle des personnes sourds et entendantes, ou un spectacle de la compagnie dansehabile, constituée de danseurs en situation de handicap. Ces actions ont un certain succès grâce à la promotion par l’association insieme. Dans ce cadre, l’utilisation du carnet en FALC est promue. En hiver, l’entrée au musée est gratuite les premiers samedis du mois. Le musée invite aussi les institutions et associations à venir visiter le musée en groupe avec le carnet « Mon musée pas à pas » ces jours-là.  

« Les personnes avec une singularité intellectuelle qui se déplacent - encore un petit nombre - parlent tous d’une belle expérience. Nous voudrions juste arriver à en toucher davantage. Nous nous rendons compte que venir ici demande une immense énergie aux personnes en situation de handicap et aux institutions. Ca ne leur est pas toujours possible. Parfois, il est difficile d’entretenir la flamme pour proposer une offre qui attire encore peu de gens concernés. Mais je suis persuadée que c’est très utile et nous continuons », précise la responsable du Service culturel du MICR.

« Nous avons choisi de ne pas distribuer le carnet de visite « Mon musée pas à pas » aux classes. »

Marie-Dominique de Preter, responsable du Service culturel du MICR​

Quant au public sans singularité intellectuelle, difficile de savoir ce qu’il pense du carnet de visite en FALC. Il est proposé à la boutique et aux enseignants de classes spécialisées. Actuellement, aucun chiffre ne permet de savoir qui et combien de personnes le prennent. « Nous avons choisi de ne pas le distribuer aux classes. Ce n’est pas un outil conçu pour des enfants mais pour des adultes différents. Or le parcours muséal pour les enfants n’est pas un parcours pour adultes simplifié. »  

Le carnet de visite « Mon musée pas à pas » devrait être bientôt réédité. La présentation du guide dans les réseaux du handicap devrait être développée, ainsi que son utilisation dans des contextes inclusifs. « Nous le ferons évoluer en fonction des remarques des utilisateurs et de nos propres observations, notamment sur la mise en page. Ce travail sera fait en collaboration avec des personnes singulières. Nous inviterons le Village d’Aigues-Vertes à collaborer, et à d’autres associations ou institutions à le tester », prévoit Marie-Dominique de Preter.

Le français facile à lire et à comprendre (FALC)

Le français facile à lire et à comprendre (FALC), aussi appelé « langage simplifié », est une méthode pour simplifier et rendre compréhensibles des textes. Les règles du FALC portent sur la langue, l'orthographe, la typographie et la mise en page. Le Bureau pour le langage simplifié de Pro Infirmis Fribourg traduit des textes en langage simplifié et distingue trois niveaux: A1, A2 et B1.

Le niveau A1 est le plus simple. Il correspond au niveau de lecture A1 du Cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL). Les textes rédigés en A1 comportent des phrases très courtes et simples. Chaque phrase commence sur une nouvelle ligne. La police de caractères et l'espacement entre les lignes sont larges. Cette forme très simplifiée de la langue française s'adresse aux personnes qui ont de grandes difficultés de lecture et de compréhension, comme par exemple les personnes avec une déficience intellectuelle. Le niveau A2 permet de rédiger de courtes phrases reliées logiquement entre elles. Le texte contient des informations plus détaillées que pour le niveau A1. Le niveau B1 correspond à une version légèrement simplifiée de la langue française. Ce niveau s'adresse à l’ensemble de la population, qui comprend peu les jargons spécialisés.

Afin de garantir que les textes soient compris, le Bureau pour le langage simplifié de Pro infirmis Fribourg conseille de suivre les règles du langage simplifié pour les trois niveaux, et de faire réviser les textes par un groupe dont le niveau de langue répond au niveau choisi.

www.proinfirmis.ch/fr/langage-simplifie

Association 1001 feuilles

Depuis 2010, l'atelier 1001 feuilles organise des actions au musées réalisées avec et pour des personnes vivant avec une singularité intellectuelle. Ces actions peuvent être réservées à des groupes singuliers, ou mêler les publics. Pour les actions inclusives, 1001 feuilles collabore avec des musées partenaires. Le projet « Croque-Musées » propose depuis 2018 des visites et des ateliers au musée le dernier dimanche de chaque mois dans des musées romands partenaires. Ces actions sont préparées par Kay Pastor, fondatrice de l’atelier, et ses experts singuliers Frédéric Kessler et Filipe Machado, qu’elle a formés à la médiation culturelle. Elles consistent en une visite facile à comprendre suivie d’un atelier de dessin qui permet aux visiteurs d’exprimer leur ressenti. L’association 1001 feuilles est en cours de labélisation par le Service Culture inclusive.

www.1001feuilles.org > Accessibilité

www.croque-musees.com

Marie-Christine Pasche et Nicole Grieve
Februar 2019

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